La langue colle à la vitre
surface fallacieuse renvoie le mauvais reflet
le pire profil de nous-mêmes
celui de qui nous nous défions
la langue fait foi
mais nous faisons fi de ses allégations
de qui suis-je le vrai visage
je me suppose réelle puisque
reflétée
Perle Vallens
Mois : février 2023
Ciné-poème 11 : vent de révolte
Retour aux classiques avec un film muet et une scène d’anthologie : le cuirassé Potemkine de Sergueï Einsenstein. Le ciné-poème s’intitule vent de révolte. Bon visionnage !
Langue tirée
la langue est de courte durée pour grimper la côte
elle pend bien avant le reste du corps
ce muscle fatigué de répéter les mêmes choses
de poser les même questions
aurait hâte de franchir après les obstacles
la ligne d’arrivée
la langue tirée au miroir pour vérifier
si on est toujours là
Perle Vallens
Caviar 101
entre-soi
on se rencontre
et d’abord soi par la chair
tissés ensemble
nous nous glissant
nés à nouveau
dans ce réseau d’ondes
ondées à demi bues
nous résorbant
dans nos révoltes
couchant dans la lie
du monde ses envers
nous y vautrant
avant d’avoir vu
d’avoir assez respiré
d’avoir ouvert des plaies
avant d’avoir entendu
l’alarme sans savoir
qui l’avait déclenchée
Perle Vallens
Ciné-poème 10 : comme le cheval je flotte
Il s’agit cette fois d’une demande « expresse » que je me dois d’honorer : c’est sur un extrait du Seigneur des anneaux de Peter Jackson que j’ai composé ce ciné poème n°10, intitulé comme le cheval je flotte.
La caprine
Tu étais cet animal libre agitant son museau
sa chevelure comme une fourrure
qui gagnait du terrain sur le jour
à l’heure des grandes chevauchées
le sommet nous attendait
Tu étais alors la première de cordée
et ton propre filin d’acier du ciel
qui s’agrippait à la lumière et te poussait vers l’avant
c’est ce qui me tirait
ta force faite mienne
Tu étais la croisée des chemins par laquelle
on échange nos âges
la croix tracée sur la poitrine
et la bannière qui hèle sœurs et mère
qui fait tenir bon sur les sentes escarpées
Tu étais la crosse des fougères
qui se déroule dans le plein soleil
de ta jeunesse à laquelle je m’accroche
tu galopais caprine dans les prés
et moi redevenue chevreau
A la lune pleine dont tu fus l’éclat
tu as chanté et dansé dans l’ardeur tiède
tu étais la course des constellations
qui s’est arrimée à ma taille
c’était toi ma ceinture d’Orion
Quand nous nous sommes assises
tu as été la quiétude de mon front
tu as été dans le flot noir de la nuit
la lumière qui m’a épinglée papillon
mon cœur à ta boutonnière
Perle Vallens
Avoir sa barque (#l’impossible retour)
On y pense comme on s’oublie. Il y a une langueur comme pour stagner, rester, établir un camp de base dont on ne se relève pas. Et quand on se lève c’est déjà trop tard. Ce serait un recul ou un rêve.Les sourires ont marqué nos espoirs d’une autre vie. Les regards se sont gravés pour nous dire de revenir. Nous ne sommes jamais revenus.
Nous avions longé ces baraques, ces maisons de pêcheurs et l’unique hôtel, son bar où nous descendions des bières. En une journée, nous aurions pu faire le tour d’ici (et nous l’avons fait, en partie). Nous ne faisions pas de différence entre les visages autochtones et les touristes parce que tous étaient dans l’instant des résidents d’ici. Tous avaient étiré leurs membres, augmentés d’une existence plus dense et plus libre.
Nous avions manqué exprès le bateau pour rester plus longtemps. Nous aurions peut-être pu dormir sur la plage, nous nourrir de poisson qui sait.
Il est resté la persistance d’un salut, d’un accent, une odeur âcre provenant de la baie, comme un regret.
Il aurait fallu devenir quelqu’un d’autre, avoir sa barque, de quoi hameçonner le rêve et mouliner plus fort que le vent et les pluies qui mouillent jusqu’à l’os dur du renoncement. Je nous vois solidement attablés à une maison d’hôte, nés ici ou transportés de longue date pour y avoir fait son trou (sa baïne comme dit ailleurs qui est une autre patrie).
Nous y sommes. Nous y sommes bien. Nous y sommes chez nous.
Nous parlons la langue couramment.
Nous y servons du crabe, du poisson fumé, nous y cuisinons, nous y accueillons nos ouailles.
A notre tour, nous les gardons, qu’ils ne repartent pas, eux non plus.
Nous pourrions avoir des pied-à-terre dans plein d’endroits différentes, comprends-tu ?
Ce don d’ubiquité est aussi d’orgueil pour se placer à la proue du navire, y demeurer.
Ça tangue toujours à l’avant, à l’avancée des constellations, nous sommes hybrides d’ici et d’ailleurs, nous sommes ce ciel choisi pour accueillir ce fantasme, cette soif.
Caviar 100
Ciné-poème 9 : on attend
Ce neuvième ciné-poème nous emmène dans l’univers onirique et poétique d’un grand réalisateur. L’extrait choisi est la scène finale du film Stalker de Andreï Tarkovski.
Prochaine étape, un plongeon dans un film d’heroïc fantasy, à la demande de quelqu’une…