atelier Laura Vazquez·écriture·photo couleur·poésie

La caprine

Tu étais cet animal libre agitant son museau
sa chevelure comme une fourrure
qui gagnait du terrain sur le jour
à l’heure des grandes chevauchées
le sommet nous attendait

Tu étais alors la première de cordée
et ton propre filin d’acier du ciel
qui s’agrippait à la lumière et te poussait vers l’avant
c’est ce qui me tirait
ta force faite mienne

Tu étais la croisée des chemins par laquelle
on échange nos âges
la croix tracée sur la poitrine
et la bannière qui hèle sœurs et mère
qui fait tenir bon sur les sentes escarpées

Tu étais la crosse des fougères
qui se déroule dans le plein soleil
de ta jeunesse à laquelle je m’accroche
tu galopais caprine dans les prés
et moi redevenue chevreau

A la lune pleine dont tu fus l’éclat
tu as chanté et dansé dans l’ardeur tiède
tu étais la course des constellations
qui s’est arrimée à ma taille
c’était toi ma ceinture d’Orion

Quand nous nous sommes assises
tu as été la quiétude de mon front
tu as été dans le flot noir de la nuit
la lumière qui m’a épinglée papillon
mon cœur à ta boutonnière
Perle Vallens

atelier Tiers Livre·écriture·photo n&b·prose

Avoir sa barque (#l’impossible retour)

On y pense comme on s’oublie. Il y a une langueur comme pour stagner, rester, établir un camp de base dont on ne se relève pas. Et quand on se lève c’est déjà trop tard. Ce serait un recul ou un rêve.Les sourires ont marqué nos espoirs d’une autre vie. Les regards se sont gravés pour nous dire de revenir. Nous ne sommes jamais revenus.
Nous avions longé ces baraques, ces maisons de pêcheurs et l’unique hôtel, son bar où nous descendions des bières. En une journée, nous aurions pu faire le tour d’ici (et nous l’avons fait, en partie). Nous ne faisions pas de différence entre les visages autochtones et les touristes parce que tous étaient dans l’instant des résidents d’ici. Tous avaient étiré leurs membres, augmentés d’une existence plus dense et plus libre.
Nous avions manqué exprès le bateau pour rester plus longtemps. Nous aurions peut-être pu dormir sur la plage, nous nourrir de poisson qui sait.
Il est resté la persistance d’un salut, d’un accent, une odeur âcre provenant de la baie, comme un regret.

Il aurait fallu devenir quelqu’un d’autre, avoir sa barque, de quoi hameçonner le rêve et mouliner plus fort que le vent et les pluies qui mouillent jusqu’à l’os dur du renoncement. Je nous vois solidement attablés à une maison d’hôte, nés ici ou transportés de longue date pour y avoir fait son trou (sa baïne comme dit ailleurs qui est une autre patrie).
Nous y sommes. Nous y sommes bien. Nous y sommes chez nous.
Nous parlons la langue couramment.

Nous y servons du crabe, du poisson fumé, nous y cuisinons, nous y accueillons nos ouailles.
A notre tour, nous les gardons, qu’ils ne repartent pas, eux non plus.
Nous pourrions avoir des pied-à-terre dans plein d’endroits différentes, comprends-tu ?
Ce don d’ubiquité est aussi d’orgueil pour se placer à la proue du navire, y demeurer.
Ça tangue toujours à l’avant, à l’avancée des constellations, nous sommes hybrides d’ici et d’ailleurs, nous sommes ce ciel choisi pour accueillir ce fantasme, cette soif.