
La surface ne se plisse pas. Elle ne se gondole, n’ondule pas, elle reste inerte, engluée en elle-même. Immobile, parfaitement lisse, calme, elle s’offre comme miroir où se reflètent les arbres, pinceaux de fin d’hiver trempés dans l’eau. Une vision inversée de la réalité, dans laquelle on pourrait plonger. Rien ne s’agite mais tout respire en profondeur. C’est le rythme très bas du cœur des choses qui se laisse regarder, une indécence de la vie qui se laisse voir à l’oeil nu.
Les couleurs sont douces, diluées, sans densité mais d’une présence qui occupe tout l’espace sous la paupière. Il y une continuité, un prolongement, une dissolution lente du paysage pour ne faire qu’une seule image.
De loin, c’est l’impression que cela donne, une image unique, claire, silencieuse, sans un souffle d’air. De plus près, sur la berge, les premiers clapotis ne viennent pas brouiller l’image mais troublent l’atmosphère de leur son. C’est léger mais c’est pleinement vivant et presque volatile. Le bruissement doux contribue à la quiétude, tout comme le pépiement, plein les oreilles mais sourdine, de loin, demi teinte. Une histoire de chants, d’enchantement. Une histoire de chaleur, de début de printemps. Une histoire de chair de poule qui ne se voit pas mais se devine sur la soie lisse du lac.
Plus tard, le soleil disparaît derrière, laissant une traînée de poudre sur l’eau, qui s’allume en incendie, en flamboyance. Et rien n’a bougé, le lac demeure immobile. Et dessous, l’insondable mystère, l’insaisissable, l’invisible.
Se demander alors si la beauté se voit ou si elle n’est pas dans ce qui ne se voit pas, dans ce qui s’imagine, dans ce qui se présume. La beauté est une cachottière. La beauté se cache d’instinct. Elle se cache là où l’on ne pense pas qu’elle se trouve, là précisément où l’on ne la voit pas et elle surgit de l’onde ou d’ailleurs. L’image se fige. L’image change. Elle se disperse entre le regard et l’esprit. Elle oscille entre l’être et le paraître, l’illusion s’illusionne. Trois petits tours et puis s’en vont.
La beauté s’ignore. Je le savais déjà.
©Perle Vallens